Le monde dans un cristal, le jardin comme metaphore de l’univers.

Des archetypes d’ordre spatial existent, au niveau non de la forme mais du concept. Ils sont independants du temps, du lieu, des conditions psychologiques et sociales ou des expressions individuelles. Pour parvenir a un dialogue entre une structure abstraite et une formule a l’usage du public, un espace doit etre structure de facon a reveler sa propre grammaire au sein d’un environnement architectural et urbain.

Mesures et proportions sont les instruments de ma pensee. Cette pratique esthetique est fondee sur une analyse de l’ordre spatial. L’oeuvre est une construction mentale qui prend forme a travers la reflexion de tous les details presents dans un contexte architectural donne. Pour arriver a la transformation d’un ensemble spatial, il faut concevoir un canon de jugement et d’equilibre, et reunir tous les elements necessaires a sa materialisation. La forme de l’espace, l’emplacement du site et ses conditions d’eclairage doivent etre pris en consideration et etudies, tout autant que le cadre historique de reference et son utilisation future. Tous les elements en jeu doivent etre evalues en termes de mesure et de proportions; et les principes tectoniques elementaires etudies en fonction de l’espace. Cela implique que l’oeuvre obeisse a une logique pragmatique quant a sa situation et a son elaboration. L’oeuvre ainsi creee n’est pas une installation; c’est une forme d’art qui ne meconnait pas l’environnement architectural existant et qui entre en dialogue avec lui a travers un agencement rationnel; c’est une mise en valeur de la sensualite enfouie au coeur de la forme et de son discours dialectique dans un contexte contemporain.

Au cours d’une promenade dans le parc Aue, au printemps 1992, lors de l’inauguration de Documenta IX, Marie-Claude Beaud m’a invite a reflechir sur le projet d’un parc a Paris, pour la Fondation Cartier. L’essentiel de la reflexion sur cet espace quasi triangulaire devait porter sur son utilisation comme parc public, enchasse dans un cadre urbain. Afin d’imposer un ordre aux contours tres irreguliers du lieu, une structure epuree fut choisie, reposant sur cinq modules geometriques elementaires inherents a la forme du terrain:

Carre

Rectangle

Triangle

Cercle

Ellipse

Dictees par les contours memes du lieu, ces cinq principales formes abstraites ont etabli l’ordre geometrique permettant d’agencer l’espace comme une sculpture architecturale. Le defi consistait alors a imaginer une solution specifique au contexte donne qui permette d’etablir un dialogue entre les concepts spatiaux elementaires, par l’utilisation de schemas classiques qui se sont manifestes au cours de toutes les periodes de l’histoire.

Le corps de verre du recent edifice de Jean Nouvel, le vieux mur qui enclot le parc et recele des souvenirs historiques, et le relief du terrain ont fait naitre un besoin de donner une unite au lieu et a ses conditions specifiques. Par toutes ses facades de verre, sa verticalite et sa grace, la salle d’exposition fait echo aux arbres immenses du parc alentour, et dans son infinite translucide offre une perspective impressionnante de l’echelle humaine. Les reflets sombres des arbres sur la facade projettent des eclats de transparence sur l’interieur puis s’estompent a l’exterieur avec les modulations infinies de la lumiere. La qualite ephemere de cet espace miroir met le visiteur dans un etat de perception ambigue. Il n’y a pas de separation definie entre le parc et la construction. Le sol et sa vegetation font partie d’un tout. Il n’y a ni debut ni fin. Des arbres solitaires semblent multiples. Tout est en mouvement, reflete dans le jeu des rythmes horizontaux et verticaux, et dans celui du changement des saisons. Des fragments du parc sont captures par les damiers de verre de la structure architecturale. Refractee par des prismes kaleidoscopiques, la lumiere transforme le batiment en cristal. L’espace se mue en une surface refletee; le parc sert d’ecrin au batiment et le batiment met en valeur le feuillage. Des facades de verre, aux parois coulissantes, s’ouvrent sur le parc, transformant le batiment en vitrine. Et, integrant ces elements ainsi que le relief du terrain, une structure spatiale independante a ete creee, en harmonie avec la presence du batiment et son cadre unique.

En inscrivant un cercle imaginaire a l’interieur du triangle forme par le terrain, puis en deplacant le centre de ce cercle le long de l’axe du batiment, le parcours du rayon determine la structure de la terrasse et l’emplacement des gradins qui couvrent un tiers de ce cercle. Agence en plates-formes, le flanc de la pente dicte la forme elliptique de la fontaine et celle de la terrasse voisine. Une surface d’herbe parcimonieuse melee d’une variete changeante de plantes sauvages prolonge le sol betonne du batiment vers le rez-de-jardin et met en scene l’immense vitrine.

Dans ce jardin, elabore selon une geometrie rationnelle de formes claires, a echelle humaine, et concu comme un lieu de repos et de contemplation, la configuration de la terrasse et de la fontaine developpe sa propre logique architecturale. Son langage subliminal est controle par la pensee rationnelle et fonde sur des relations proportionnelles et des sequences coherentes alors que son cadre est stimule par l’intuition.

De grandes surfaces, y compris les terrasses et le croissant forme par la partie interieure du rez-de-jardin entre le batiment et la fontaine, sont recouvertes d’un sol pauvre de <<sablon>>, un fin sable silicieux de la vallee de l’Essonne pres de Fontainebleau. Sa couleur et sa texture s’harmonisent avec la pierre de Massangis en Bourgogne, choisie comme materiau de construction de la fontaine et des terrasses. La purete materielle de la pierre et du sable repond a la fluidite du <<cristal>> et sa surface exterieure de verre et d’aluminium.

Une gamme de trente-cinq arbres d’essences differentes nouvellement plantes et une collection de plantes sauvages de France obeissent a un ordre secret qui reveille images et representations iconographiques. Celles-ci ne peuvent etre decouvertes qu’a travers la capacite du spectateur a lire l’art et a imaginer l’enigme de l’espace structure, dissimulee dans cet echange organique.

Delimites par un mur de verre autonome et haut de quatre etages, le jardin et le boulevard sont divises en deux espaces distincts. Vues a travers cette immense fenetre de verre, les plantes sauvages semblent <<encadrees>> comme une image peinte. La presence materielle du verre epais, qui agit comme une loupe ou le viseur d’un appareil photo, confere a la vegetation un aspect tisse qui evoque une tapisserie des Gobelins. L’introduction de roses ou de tout autre fleur <<decorative>> dans ce contexte auraient transforme le site en vitrine de fleuriste parisien. Mon intention etait plutot de diriger le regard vers une vue de la vegetation sauvage propre a la France et transplantee de facon inattendue en plein coeur de la ville.

Le systeme clos que forme ce jardin en tant que sculpture ne permer pas d’y accueillir d’autres formes d’art. Une sculpture ne peut pas etre placee a l’interieur d’une autre sculpture. Tous les nouveaux arbres ont ete choisis en fonction de leur espece, de leur forme et de leur taille et ont ete disposes en conjonction avec ceux qui existaient deja dans les jardins du voisinage, alors que la vegetation poussant sur le vieux mur a ete en partie conservee pour s’harmoniser a l’environnement dans son ensemble. Une variete de graines parsemees au hasard sur le sol composera sa propre structure sociobotanique, dont la croissance et la couleur seront determines par les conditions du sol et de luminosite. Pour l’instant, l’amenagement du jardin est en cours. D’autres arbres et d’autres buissons viendront. Ce sera finalement une question de patience et de passion que d’observer la transformation d’une idee en un espace vivant.

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